Au sous-sol d’un anonyme hôtel international de Prague, un simple sigle est affiché sur la porte : UDI, pour Unity for Democracy in Iran. Entre deux séminaires d’entreprises percent les échos lancinants du persan. Les 17 et 18 novembre s’est tenue, dans la capitale tchèque, la troisième conférence de cette nouvelle organisation encore peu connue sur la scène de l’opposition iranienne en exil.
Fondée officiellement en février 2012 à Stockholm, l’Union pour la démocratie en Iran s’est déjà réunie en juillet à Bruxelles. Difficile de définir ce qu’est l’UDI. Pas un parti ni une coalition : elle n’est pas assez organisée et hiérarchisée. Pas non plus un think tank ou un forum, mais plutôt une plateforme de réflexion et d’action. C’est un “parapluie”, disent ses organisateurs, un lieu de rencontre destiné à dégager des consensus au sein d’une opposition qui a toujours été handicapée par ses divisions et des ambitions concurrentes.
Mais, en cette fin d’année, l’humeur est à l’optimisme parmi les participants à la réunion. “Les sanctions occidentales commencent à faire mal au régime. Lapopulation souffre et l’on sait que les Iraniens rejettent le régime depuis les manifestations de 2009. Avec ce qui se passe en Syrie et dans le monde arabe, tout est possible aujourd’hui en Iran”, résume Mohsen Sazgara, 58 ans, l’une des têtes pensantes de l’UDI, en exil depuis 2004.
M. Sazgara connaît bien le régime, il en a été un farouche supporter – il a fondé les Gardiens de la révolution (pasdarans) – avant de prendre ses distances et de partir aux Etats-Unis, où il travaille pour la Fondation George W. Bush. “Nous devons utiliser la prochaine présidentielle pour gagner les classes populaires à la cause de la démocratie.”
“LE MOUVEMENT POUR LA DÉMOCRATIE SE PROPAGE”
Pour Mohsen Sazgara, l’une des principales faiblesses du “mouvement vert”, qui avait suivi la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009, était de n’avoir pas su rallier les classes populaires et de n’être pas sorti des grandes villes. Malgré la chape de plomb et les dizaines de milliers d’emprisonnements, M. Sazgara est convaincu qu’“Ali Khamenei a été délégitimé et le mouvement pour la démocratie se propage sous la peau de la société”.
Tout en redoutant une guerre aux effets désastreux, les participants à la conférence de l’UDI – 120 personnes venues de toute l’Europe, des Etats-Unis et de Turquie – parlent ouvertement d’un possible effondrement du régime, sous la pression conjuguée de l’Occident et du mécontentement socialintérieur. Ils veulent en voir les signes avant-coureurs dans la multiplication des grèves et des dissensions au sommet de l’Etat, où chacun se rejette la faute du fiasco économique et de l’isolement diplomatique.
“Il est de notre responsabilité de nous tenir prêts, explique Djavad Khadem, un autre organisateur, proche de l’ancien premier ministre assassiné, Chapour Bakhtiar. Nous devons réfléchir à ce que sera la transition afin que le pays ne sombre pas dans le chaos. Nous essayons de dégager des points de consensus.”
L’UDI n’a ni charte ni instances. C’est un rassemblement informel, dont les participants, militants politiques ou intellectuels sans étiquette, sont invités àtitre personnel. De fait, presque toutes les sensibilités politiques sont représentées, à l’exception des royalistes purs et durs, des Moudjahidine du peuple et de la branche radicale du Parti communiste.
DES NATIONALISTES AUX KURDES, DES SOCIALISTES AUX LIBÉRAUX
Un tel éventail, qui s’étend des nationalistes aux Kurdes, des libéraux aux réformateurs, des capitalistes aux socialistes, est sans précédent dans les annales de l’opposition iranienne en exil, qui continue de se déchirer sur trois points essentiels : le niveau de centralisme de l’Etat, le degré de libéralisme ou de dirigisme dans l’économie et la place du religieux dans la politique.
“Si on ne se met pas d’accord sur les règles d’un dialogue, ces désaccords risquent de nous tuer, met en garde Shariar Ahy, l’un des fondateurs de l’UDI.En 2005, les Irakiens ont eu des élections totalement libres, cela ne les a pas empêchés de se massacrer ensuite.”
“Il y a ici des gens qui ne se parlaient pas il y a dix ans”, souligne la journaliste Sharan Tabari. Ainsi, Nasser Iranpour, un intellectuel kurde vivant enAllemagne, a exposé son projet d’Etat fédéral. A la sortie, un conférencier l’aborde : “Pour moi, le fédéralisme a toujours été synonyme de séparatisme. Aujourd’hui, je viens de comprendre que non.” “Seul le fédéralisme sauvera l’Iran”, renchérit Iranpour.
La question des minorités – Turcomans, Azéris, Arabes, Baloutches et Kurdes – est l’une des plus épineuses. Sans compter les cultes non reconnus par l’islam comme les bahaïs ou les yarsanis, qui s’estiment eux-mêmes opprimés par les nationalistes kurdes.
L’on a donc beaucoup discuté, au sein de studieux petits groupes de travail, de réformes constitutionnelles, de décentralisation et de fédéralisme, de politique économique et de statut de la femme, ou encore de la place de la culture et de la religion.
L’UDI VEUT SE METTRE EN MOUVEMENT AVANT LA PRÉSIDENTIELLE
Mais l’UDI ne veut pas seulement réfléchir à l’avenir, elle travaille à changer le présent en réfléchissant, par exemple, à la création d’une chaîne d’information par satellite sur le modèle d’Al-Jazira ou encore aux moyens de contourner la “grande muraille” que le régime tente de mettre en place pour isoler Internet. Des formations à l’action non violente sont envisagées.
Ces groupes de travail donnent parfois lieu à d’intéressants affrontements générationnels. “Quand j’entends des intellectuels remettre en question l’économie de marché, j’ai l’impression d’être face à des fossiles”, s’esclaffeAhmad Eshghyar, un jeune militant de 29 ans qui a participé à la campagne deMir Hossein Moussavi, candidat malheureux à la dernière présidentielle.
L’arrivée en exil de milliers de ces jeunes issus du “mouvement vert” a donné un second souffle à la diaspora politique tout en la bousculant. L’amalgame prendra-t-il ? L’UDI s’est fixé pour objectif de publier une charte et de se mettreen mouvement en février 2013, avant la présidentielle. Il faudra évidemment des moyens. Pour l’instant, la seule aide étrangère revendiquée par l’UDI provient du centre Olaf-Palme, en Suède.
Quand on fait remarquer aux organisateurs que l’opposition en exil n’a jamais eu beaucoup d’influence sur le cours de choses en Iran, M. Ahy répond du tac au tac : “Khomeiny venait bien de l’étranger quand il a pris le pouvoir !”
Signe que le régime de Téhéran commence à prendre l’UDI au sérieux, il a accusé ses participants, au lendemain de la réunion de Prague, d’être “des agents à la solde du Mossad et de la CIA”.